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Déballer le "paquet pesticides"

Fin 2009, le Parlement européen adoptait le "paquet pesticides", un ensemble de textes durcissant la régulation des produits phytosanitaires. Ce geste réglementaire laissa bouche bée les plus farouches adversaires de l'agriculture productiviste, surpris qu'ils étaient de voir une Europe tout à coup aussi ambitieuse dans la protection de la santé publique et de l'environnement. Ils en sont, depuis, revenus. Et se demandent si et le Parlement de Strasbourg et eux-mêmes n'ont pas été légèrement roulés dans cette affaire.

Mercredi 17 septembre, Générations futures (GF) et Pesticide Action Network (PAN), deux associations environnementales, ont rendu public un rapport montrant que l'une des dispositions importantes de ce " paquet pesticides " a été largement ignorée depuis son entrée en vigueur. Cette disposition, apparemment si extravagante qu'elle s'est avérée inapplicable, peut être résumée simplement : elle consiste à rendre obligatoire la prise en compte, dans l'évaluation d'un pesticide, de l'ensemble des données scientifiques publiées à son sujet.

On peut d'abord légitimement s'étonner que ce ne fût pas déjà le cas. La précédente réglementation prévoyait que les agrochimistes souhaitant introduire sur le marché de nouvelles molécules (insecticides, fongicides, herbicides, etc.), ou devant en réévaluer de plus anciennes, devaient conduire eux-mêmes (ou faire conduire par des laboratoires privés) les tests toxicologiques requis, puis confier les résultats de ces expérimentations au système européen d'évaluation du risque. Qui décide in fine de l'autorisation.

Un enfant normalement intelligent et à qui on aurait expliqué simplement la situation – " Les industriels conduisent eux-mêmes les tests permettant l'autorisation de leurs produits " – comprendrait qu'il y a là comme une étrangeté. De fait, il n'existe aucune justification rationnelle à cette institutionnalisation du conflit d'intérêts.

Et ce d'autant moins que le " biais de financement " – cette tendance d'une étude à produire des résultats plus probablement favorables à son financeur –est un fait irrévocable. Un demi-siècle de généreuses subventions de l'industrie cigarettière américaine à la recherche biomédicale a produit une masse écrasante de travaux qui en sont autant de preuves empiriques.

Le règlement n° 1107/2009 rectifie un peu cette inexplicable anomalie. Il dispose que le demandeur doit joindre à chaque dossier, outre ses propres résultats, la documentation "validée par la communauté scientifique et publiée au cours des dix dernières années" –c'est-à-dire les études menées par des chercheurs académiques, généralement sur fonds publics.

Au pied de la lettre

GF et PAN ont donc sondé les dossiers de sept molécules pour observer ce que tout cela avait changé. Résultat : cela n'a rien changé. Mais si cela n'a rien changé, ce n'est pas parce que la littérature scientifique est en accord avec les tests industriels. C'est simplement parce qu'elle n'est toujours pas prise en compte.

Une recherche simple, conduite par les deux associations, montre que 434 études académiques ont été publiées sur la toxicité des sept molécules examinées. Au total, seule une petite centaine a été mentionnée dans les dossiers soumis par les industriels, soit moins d'un quart de l'ensemble. Quant à cette centaine d'études, elle est citée dans les dossiers mais ses résultats ont été méthodiquement ignorés et ce, notent GF et PAN, " sans aucune justification ". Ni les Etats membres ni la Commission n'ont trouvé à redire à cette flagrante entorse à l'esprit de la nouvelle réglementation.

Le problème est que les tests industriels et les études académiques ne disent pas toujours la même chose. Les premiers trouvent des effets nocifs pour des expositions relativement élevées. Les secondes voient des effets à des doses bien plus basses : deux fois, vingt fois, cent fois et jusqu'à mille cinq cents fois (!) plus basses selon les molécules. Bien sûr, les chiffres mis en avant par les associations ne doivent pas être pris au pied de la lettre et les études sur lesquelles elles se fondent devraient être minutieusement évaluées, par des scientifiques compétents plutôt que par des associations militantes.

Mais il y a là comme un air de déjà-vu. En 2013, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail avait mené sa propre évaluation des risques du célèbre bisphénol A en tenant compte des études académiques. Elle avait conclu que le seuil de risque était, grosso modo, 10 000 fois inférieur à celui déterminé par son homologue européenne à partir des tests industriels. Deux expertises scientifiques officielles concluant, à partir des mêmes connaissances, à des seuils de risque distants de quatre ordres de grandeur : si l'absurde n'est pas atteint, il n'est assurément pas loin.

Des divergences du même ordre que celles avancées par les deux associations sont donc possibles. Et s'il faut se soucier de cette bataille, c'est qu'elle ne porte pas sur des chiffres éthérés, couchés sur du papier européen lointainement conservé à Bruxelles. Ces chiffres, ce sont les critères de qualité de l'alimentation de 500 millions d'Européens, ce sont des seuils d'exposition tolérables applicables à des centaines de milliers de travailleurs agricoles….

Et, au-delà de la santé et de l'environnement, cela pose aussi plus simplement la question du fonctionnement de la démocratie de l'Union. On se doute bien qu'il y a, derrière cet invraisemblable hiatus entre l'esprit de la réglementation et son application, de subtiles divergences d'interprétation du texte. Peut-être. Ou peut-être même pas. Le seul commentaire obtenu par Le Monde de la Direction générale de la santé des consommateurs de la Commission européenne, par le truchement de son porte-parole, est celui-ci : " Ah, un petit rapport “Pesticides” de PAN… Ça faisait longtemps… " Et c'est tout.

Sources :
Stéphane Foucart - foucart@lemonde.fr