AccueilLa forêt › Un article intéressant du JSL : Saint Privé / Une année en forêt

Un article intéressant du JSL : Saint Privé / Une année en forêt

Pour continuer à produire du bois dans quelques décennies, il faut planter des arbres aujourd’hui. C’est le travail de Bastien Couturier et de sa petite équipe. Une tâche parfois répétitive, mais gratifiante lorsqu’on pense aux robustes arbres que deviendront ces fragiles tiges de feuillus ou de résineux.

Par Damien VALETTE 

Il faut arrêter d’opposer d’un côté les gentils feuillus et de l’autre les méchants résineux », prévient d’emblée Bastien Couturier. Comme la plupart de ses confrères, le sylviculteur de 33 ans n’est pas insensible au débat actuel sur la défense des arbres à feuilles face à des conifères à aiguilles souvent présentés comme des envahisseurs. « Chaque essence a ses forces et ses faiblesses, que le forestier connaît et dont il se sert pour faire ses choix sylvicoles », tranche cet habitant de Blanzy.

De fait, sur cette parcelle de Saint-Privé qui a récemment fait l’objet d’une coupe de récolte, les deux grandes familles seront complémentaires et non antagonistes : une partie est reboisée avec des chênes sessiles, symboliques des arbres à feuillage caduc, tandis que l’autre est plantée avec des douglas, emblématiques des essences résineuses.


« Le talon doit devenir un outil »

Bastien Couturier tire un jeune plant de son sac. En une poignée de secondes, il va le rendre à son élément naturel grâce à une technique rodée et un outil adapté : une houe forestière. Avec le côté hache, il pratique une ouverture dans la terre, puis retourne l’outil côté pioche pour soulever la motte préalablement fendue. D’un geste rapide, il coupe l’excédent de racines, puis glisse cette dernière sous la terre. « Un ancien m’a appris que le talon doit devenir un outil », confie le sylviculteur, dont le pied tasse la terre de chaque côté de la tige, afin que celle-ci soit correctement maintenue dans le sol. Étape supplémentaire pour les feuillus : un peu plus chers à l’achat (environ 1 €, contre 0,65 € pour un douglas), les jeunes chênes sont protégés par un manchon en plastique soutenu par un piquet en acacia qu’il faut enfoncer à coups de massette.

« J’imagine comment sera  la  forêt »

Le geste est répétitif, la journée harassante. Bastien Couturier travaille avec son ouvrier Pascal Hacker* et son apprenti Charlie Meunier. En une journée, chacun plante entre 500 à 600 jeunes arbres. « Le reboisement est la partie la plus physique du travail, mais j’adore planter, assure le sylviculteur. Quand je travaille, j’imagine comment sera la forêt dans quelques années. Voir pousser les arbres est une grande satisfaction. Je repasse régulièrement sur les parcelles que j’ai reboisées, pour voir comment les arbres évoluent. »


« J’aime quand il pleut en été »

Sur l’année, BC Sylviculture, la petite entreprise de Bastien Couturier, plante environ 140 000 jeunes arbres, dont deux tiers de résineux et un tiers de feuillus. Si les conditions météo sont favorables – en l’occurrence si la pluie tombe suffisamment et au bon moment – le taux de reprise des jeunes plants atteint 80 à 85 %. Dans le cas contraire, ou sur des parcelles séchantes, exposées sud, il peut dégringoler à 20 ou 40 %. « C’est pour cela que j’aime quand il pleut l’été », sourit le jeune homme.

*L’équipe comprend également un autre salarié, Charles De Babo.

Le reboisement est la partie la plus physique du travail.

Bastien Couturier, sylviculteur

 

Il fait germer et cultive les futurs géants

Certes, certaines forêts se régénèrent naturellement à partir des graines et autres glands produits par les arbres matures. Mais l’exploitation forestière, dans le cas notamment des coupes rases, nécessite de replanter des jeunes pousses préalablement cultivées par des pépiniéristes. Franck Martin est de ceux-là. Installé à Gibles, près de La Clayette, ce tout jeune quinquagénaire est spécialisé dans les essences forestières. Sur les 120 000 plants en racines nues qu’il produit et vend chaque année, environ 80 % sont de jeunes résineux et 20 des feuillus. Son exploitation compte 3,5 hectares, à 470 mètres d’altitude : deux pour les pépinières, et 1,5 où un agriculteur voisin cultive des céréales afin de conserver la fertilité des terres par la rotation des cultures.

Favoriser la densité des racines

Au printemps, Franck Martin fait ses semis après une phase de prégermination : en avril pour les feuillus, en mai pour les résineux. Entre une et trois semaines plus tard, les graines ont germé et les jeunes pousses commencent à sortir de terre. Les techniques diffèrent selon le type d’essences. Après une première saison végétative, le pépiniériste « dépivote » les jeunes feuillus. Une phase qui consiste à passer sous les plants une grande lame, tirée par un tracteur agricole, afin de couper les racines qui s’enfoncent le plus profondément. L’objectif est de favoriser la croissance des radicelles (les racines les plus petites) et donc la densité racinaire. Autant d’éléments qui faciliteront la reprise au moment de la plantation. Les feuillus sont ensuite vendus entre 1 et 3 ans. Ils mesurent alors entre 30 cm et un mètre.

Quant aux résineux, ils sont semés en planche, à la volée. Les plants sont arrachés au bout d’un an ou deux. « On les repique ailleurs afin qu’ils augmentent leurs systèmes racinaires et s’élargissent au niveau de la tige, explique le pépiniériste. Ils sont ensuite vendus entre 2 et 4 ans. » La croissance des jeunes pousses est stimulée par de l’engrais et des granulés d’amendement organique.

L’eau de pluie ne suffit plus

Avant d’être vendus aux propriétaires forestiers ou aux entreprises de reboisement, les plants sont arrachés, triés par taille et conditionnés dans des sacs, en bottes de 50. Si besoin, ils peuvent être mis « en jauge », c’est-à-dire remis en terre. Ceci afin de protéger leurs racines jusqu’à la remise au client, pendant quelques semaines, en hiver, ou quelques jours au printemps, lorsque la période végétative a débuté.

Comme la plupart des métiers liés à la nature, l’activité du pépiniériste subit la pression du changement climatique. « Il y a quelques années de cela, je n’arrosais que les semis. À présent, je dois aussi arroser les plants », illustre Franck Martin, qui s’est résolu à faire creuser un forage, ses réserves d’eau de pluie et de ruissellement n’étant plus suffisantes : « L’été dernier, il ne restait plus rien au 10 août. »

Damien VALETTE

Résineux et feuillus

Le pépiniériste Franck Martin fait principalement pousser des douglas, un résineux souvent planté en monoculture, et un peu de nordmann qu’il vend à des producteurs de sapins de Noël. Il a en revanche quasiment abandonné un autre résineux, l’épicéa, dont les plantations ont été massivement détruites par les scolytes, des insectes ravageurs. Côté feuillus, il cultive des plants de robiniers, de chênes rouges et d’érables sycomores. « Avant, c’était plus varié, rappelle le pépiniériste. On ne produit plus de feuillus précieux comme le merisier ou le frêne, qui depuis quelques années est touché par une maladie. En dehors du parquet, il n’y a presque plus de marché du bois massif pour la menuiserie. »

Un travail concret

Franck Martin a suivi des études universitaires et a décroché une maîtrise de sciences naturelles. « Tous les autres étudiants voulaient devenir profs, pas moi, confie-t-il. Moi, je voulais être indépendant, dehors, dans la terre. » Il prend goût au travail en pépinière lors de jobs d’été, puis passe, par correspondance, un brevet de technicien agricole pépiniériste.